Comment faire quand on est maman de 3 enfants, que notre métier de formatrice et nos explorations de sociologue consultante nous confirme chaque jour qu' »il y a péril en la demeure » et que l’on aspire à nourrir une vision positive du développement humain, à des changements désirables? C’est cette situation aussi passionnante qu’inconfortable qui a donné l’élan à Anne-Louise Nesme d’écrire son 1er livre: « Cultiver la relation enfant-nature, de l’éloignement à l’alliance » (préface de Dominique Cottereau).
Eveil et Nature donne aujourd’hui la parole à Anne-Louise, à l’occasion de la sortie de ce livre, grâce auquel vous trouverez tous les arguments nécessaires pour étayer votre démarche en faveur du lien enfant-nature.
Anne-Louise, peux-tu nous raconter un peu l’histoire de l’écriture de ce livre? Quelles voies et axes principaux explore-t-il?
Expérience
Partie d’une petite aventure de jardinage avec des enfants en maternelle en tant que maman, je me suis rendue compte que j’avais sous les yeux une illustration in vivo de ce que j’étudiais par ailleurs (j’exerce en tant formatrice auprès d’adultes et suis par ailleurs universitaire), et notamment de ce que Robert M. Pyle nomme « l’extinction de l’expérience » de nature. C’est-à-dire que les enfants d’aujourd’hui n’ont plus beaucoup d’occasions de faire l’expérience directe de rencontres avec des espèces variées. Or, d’après cet écologue, la diminution de l’expérience va de pair avec la diminution de l’intérêt qui lui-même génère de l’éloignement. Pour protéger la nature, encore faut-il la connaitre et se sentir relié.e à elle. On protège ce dont on se sent proche et qui nous est cher comme l’enseigne le réseau de Pédagogie par la nature. En outre, et d’après moi, c’est le développement de l’enfant tout entier, dans son rapport à soi, aux autres et au monde qui est aussi en jeu. Cultiver la relation entre l’enfant et la nature, passer de l’éloignement à une relation plus intime en prenant le temps de comprendre ce qui nous a amené là, ce que ça produit chez les enfants que d’être coupés de cette relation et, surtout, comment retrouver du pouvoir d’agir pour renaturer l’enfance… C’est sur ce plan que je me suis lancée, souhaitant articuler des réflexions tirées de « savoirs savants » souvent issus des sciences humaines et sociales et des éléments tirés d’un registre plus expérientiel.
De l’éloignement à l’alliance
Une perspective qui est devenue ma boussole.
L’enjeu de cette culture de la relation est fort puisqu’il s’agit de nourrir des liens de résonance, des interdépendances, de l’intime. C’est cela que j’ai voulu rassembler dans la visée d’une alliance, terme qui dit aussi la volonté de pactiser avec une nature que l’Homme exploite à ses propres fins depuis longtemps quand il s’agit aujourd’hui et pour demain de nourrir des liens de coopération, de respect et de réciprocité avec celle qui nous porte. L’alliance telle qu’elle est entendue ici est un pari, celui consistant à révéler et à renforcer peu à peu nos accordages, nos « apparentements à la nature » comme le dit merveilleusement Dominique Cottereau* .
* Dominique Cottereau, reprenant les propos de Harold Searles, Le souci de la nature, op. cit. p. 255.
Sensible et ensemble
Deux dimensions qui se sont imposées à moi. Ce sont nos sens qui, à même nos corps, ouvrent l’accès aux changements de notre monde : en cette période de confinement installé, nous percevons le chant des oiseaux qui sont parfois revenus, le silence du ciel à présent vide du bruit presque permanent des avions, l’air qui devient plus supportable dans nos centres urbains… et cela n’a rien de « romantique » mais a une valeur en soi, valeur qui n’est ni additionnelle ni remplaçable. Ensemble car cela ne peut être l’apanage de certains au détriment des autres tout comme cela ne peut se réduire à une approche individuelle faisant fi du fait que la Terre nous est commune et que tous les enfants ne disposent pas des mêmes ressources. Une de mes craintes dans l’écriture portait sur le fait qu’un appel au sensible puisse alimenter une approche individualiste, creusant les écarts puisque ne s’attelant à les niveler. En outre, il semble que les temps de jeu, d’apprentissage ou de rêverie dehors stimulent les enfants dans le fait de coopérer « naturellement ». Enfin, si nous avons des marges de jeu individuel, elles ne peuvent suffire… Si le lien au groupe est important à intégrer, c’est aussi parce que le collectif humain offre des perspectives formidables de mutualisation et du pouvoir d’agir face à l’immense défi que nous avons à relever.
Habiter (la nature ensemble)
Pour cultiver la relation enfant-nature, d’après moi, il s’agit finalement de revisiter notre façon d’habiter la nature ensemble et autrement. Habiter car oui il y a péril en la demeure. Habiter renvoie aussi à nos habitudes, à nos manières de faire. Et c’est là où se nichent me semble-t-il, une part très concrète de nos marges de manœuvre. Cela est largement plus développé dans mon ouvrage et convoque par exemple la manière dont nous -parent ou professionnel- nous représentons le dehors, dont nous le regardons véritablement et les mots avec lesquels on leur en parle (qui peuvent inviter ou inquiéter), dont on réagit aux trésors qu’ils nous en rapportent, le type de propositions de loisirs que l’on peut faire à ses enfants, nos choix de consommation, de déplacement, d’inscription dans le voisinage ou encore notre capacité à veiller à notre posture pour les laisser explorer par eux-mêmes, tête et corps, les jeux ou toute improvisation qu’ils peuvent déployer dehors. Cela nous incite plus globalement à remettre au centre la corporéité et la place de la main comme des prises fondatrices et privilégiées pour permettre aux enfants de grandir dans un monde dont ils se sentent in terre dépendants et où le temps long prévaut sur les assauts du court terme.
Utopie ?
Oui mais qui se veut réaliste. Je fais mienne la formule du poète Hölderlin “Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve”. Par ailleurs, pour « éduquer », je crois que nous sommes obligés d’avoir une vision positive du développement humain. Et c’est le désir qui nourrit le désir… Quel est le meilleur moteur de changement que celui-là ?
Anne-Louise Nesme – alnesme@yahoo.fr